Le piège des dividendes élevés fait de nouvelles victimes
Yannick Clérouin et Pierre-Olivier Langevin|Mis à jour le 24 janvier 2024EXPERTS INVITÉS. Nombreux sont les épargnants, dont les retraités, qui se laissent séduire par les titres qui versent de généreux dividendes. Plusieurs considèrent les dividendes comme un moyen de combler une partie des revenus requis pour assurer leur coût de vie. Or, choisir un placement uniquement pour son rendement du dividende alléchant peut se révéler un véritable piège.
Les actionnaires de Dividend 15 Split (DFN, 4,00 $) ont appris une dure leçon cette année:la valeur de ce panier de sociétés dites de grande qualité qui versent les dividendes les plus généreux de la Bourse de Toronto a chuté de 45 %. Dividend 15 Split est une société à capital variable. Cette structure à deux têtes, qui a vu le jour en 2004, comporte une composante en actions privilégiées et une en actions ordinaires. Ces deux véhicules de placement sont négociés à la Bourse de Toronto. L’entreprise fait partie de la famille des actions scindées. Fruit d’une certaine ingénierie financière, les actions scindées réunissent un panier de titres à dividendes en répartissant les revenus aux actionnaires privilégiés, et la croissance, aux actionnaires ordinaires.
Le panier de titres de Dividend 15 Split est composé des grandes banques canadiennes, de sociétés du secteur de l’énergie comme Enbridge (ENB, 45,05 $), de fournisseurs de télécommunications comme Telus (T, 22,27 $) et de financières telle Manuvie (MFC, 24,93 $).
Dans ses documents marketing, le gestionnaire de Dividend 15 Split, Quadravest, indique qu’il vise à verser des dividendes mensuels réguliers en espèces de 0,10 $par action ordinaire, lequel devait procurer un rendement de 8 % sur le prix d’émission initial du titre.
Cocktail de levier et d’instruments dérivés
Jusqu’ici, il n’y a rien de si renversant dans la description de ce type d’investissement. Cependant, comme on le mentionnait précédemment, la façon dont a été conçue Dividend 15 Split relève d’une certaine créativité financière. L’action privilégiée s’adresse aux investisseurs prudents, et l’action ordinaire, à ceux qui sont plus «agressifs». L’action ordinaire de Dividend 15 Split comporte en effet deux types d’effet de levier. Afin de bonifier le rendement des dividendes reçus des 15 sociétés qui composent le portefeuille, le gestionnaire fait appel non seulement aux actions privilégiées, mais également à des instruments dérivés, soit la vente d’options d’achat.
Cette pratique comporte deux inconvénients. D’une part, l’appréciation du titre est limitée par la mécanique des options d’achat. Si le prix de l’action augmente rapidement, l’acheteur de l’option d’achat va l’exercer et forcer le gestionnaire de Dividend 15 Split à lui vendre ses titres au prix préétabli. D’autre part, le levier obtenu par l’émission d’actions privilégiées accentue les pertes lors des baisses des titres détenus en portefeuille. C’est surtout là où le bât blesse.
Bien vulgariser le fonctionnement de ce placement relève de l’exploit. Ce qu’il faut retenir, c’est que les détenteurs d’actions ordinaires de Dividend 15 Split devraient en théorie être plus récompensés que les actionnaires privilégiés lorsque les titres sous-jacents du portefeuille montent, et souffrir davantage lorsque ceux-ci baissent. La stratégie d’options et les frais de performance prélevés par le gestionnaire érodent toutefois l’appréciation additionnelle que les actionnaires ordinaires pourraient espérer obtenir.
Un rendement de plus de 20 %
La baisse de l’action ordinaire de Dividend 15 Split dans les premiers mois de l’année a fait grimper le rendement de son dividende à plus de 20 %. En tombant sur un titre qui procure un rendement aussi élevé, certains investisseurs ont certainement cru avoir déniché une occasion en or.
C’était malheureusement trop beau pour être vrai. Le gestionnaire de la société a interrompu le versement du dividende en août dernier, entraînant une nouvelle dégringolade du titre en Bourse. Comment expliquer que Dividend 15 Split supprime sa distribution tandis qu’elle repose sur les dividendes des 15 plus gros verseurs de la Bourse de Toronto ? Le dividende est conditionnel à plusieurs facteurs, dont la valeur liquidative nette de ses actifs, soit la valeur des placements qui composent le portefeuille.
Dans la dernière année, la hausse marquée des taux d’intérêt a diminué l’attrait relatif des entreprises qui versent de généreux dividendes par rapport aux autres catégories de placements prisées pour leurs revenus réguliers, comme les obligations de sociétés ou les certificats de placements garantis (CPG). Ainsi, parmi les titres détenus en portefeuille, on retrouve les actions ordinaires de Telus, de TC Energy (TRP, 46,77 $) et de la Banque CIBC (CM, 38,66 $), qui ont reculé respectivement de 19 %, de 15 % et de 12 % au cours des 12 derniers mois.
Il n’y a pas que la baisse des titres qui composent le portefeuille de Dividend 15 Split qui explique sa descente abrupte en Bourse:la structure particulière de ce type d’investissement y contribue également.
Voilà un autre exemple marquant du piège dans lequel peuvent tomber les adeptes de dividendes élevés. Dans ce cas-ci, la capacité de Dividend 15 Split à maintenir un dividende à 20 % est tributaire du rendement annuel de quinze sociétés canadiennes parvenues à maturité. Il y a fort à parier que les entreprises qui composent le panier de titres ne procureront pas un tel rendement annuel à long terme.
Avant d’investir dans un titre sous prétexte qu’il repose sur des entreprises stables versant de généreux dividendes, assurez-vous de bien en saisir les particularités. Peu d’investisseurs individuels se laisseraient convaincre d’acheter s’ils savaient que le placement est géré à l’aide du recours à l’endettement, bonifié par une stratégie de vente d’options. Sans compter le fait que la multitude de frais facturés par le gestionnaire peut être évitée en investissant simplement dans les actions individuelles réunies dans ce portefeuille.
Lavoisier, rien ne se perd, rien ne se crée. Ultimement, il est trompeur de croire que les investisseurs puissent obtenir un rendement total nettement plus important que le rendement des 15 titres sous-jacents du portefeuille à long terme.