Impliquer ses héritiers de son vivant est périlleux et profitable
Richard Cloutier|Édition de la mi‑octobre 2019GESTION DE PATRIMOINE. Il est grand temps d’arrêter d’éviter les conversations importantes concernant les successions, affirme Alain E. Roch, président et chef de la direction chez Blue Bridge. Gaétan Veillette, fellow administrateur agréé et planificateur financier chez IG Gestion de patrimoine, est aussi d’avis qu’il est généralement approprié pour un aîné d’informer son mandataire, tout comme son ou ses liquidateurs désignés, de ses directives et de ses voeux concernant ses préarrangements funéraires, son patrimoine numérique, ses effets personnels ainsi que ses autres affaires et biens.
«Si les dispositions légales de l’aîné sont en ordre, il est généralement approprié d’aviser le mandataire de son rôle en cas d’inaptitude et de son pouvoir concernant l’administration des biens, estime M. Veillette. De même que de son mandat en ce qui a trait à l’aspect thérapeutique et aux soins à prodiguer à cette personne, par exemple.»
Il ajoute qu’une bonne planification des préarrangements funéraires permet, lorsque c’est possible, d’optimiser la défiscalisation du patrimoine de l’aîné. Une stratégie de défiscalisation consiste par exemple à accroître volontairement le revenu imposable de l’aîné jusqu’au sommet de sa tranche d’imposition actuelle, ou de la suivante sur un laps de temps donné, afin de profiter de bas taux d’imposition et d’atténuer l’impact fiscal.
M. Veillette croit aussi qu’il y a lieu de considérer la possibilité de disposer de certains biens du vivant de l’aîné, dans la perspective d’un décès. «Les enfants ou les aidants naturels devraient normalement s’impliquer afin de l’aider à organiser ses affaires et à commencer à disposer d’éléments du patrimoine qui ne contribuent pas à assurer sa subsistance», dit-il.
L’importance d’informer
Il est préférable de prévoir un transfert intergénérationnel que d’avoir à le subir à la suite d’une maladie ou d’un décès. Impliquer, dans cette planification, un conseiller du secteur financier ou un professionnel qui exerce en gestion de patrimoine privé peut certainement faire en sorte que la transition du patrimoine s’effectue d’une façon plus harmonisée.
Selon le «Rapport 2017 sur le transfert de patrimoine de RBC gestion de patrimoine», un propriétaire d’entreprise sur trois – qu’il s’agisse de professionnels, d’entrepreneurs, de propriétaires d’entreprise ou de retraités – n’a rien fait pour préparer son transfert d’actifs et de patrimoine. «Bien que l’absence de plans a vraisemblablement des conséquences négatives sur tous les types de transfert de patrimoine, les implications risquent fort d’être plus sérieuses pour les propriétaires d’entreprise, et ce, tant d’un point de vue personnel, familial, patrimonial et fiscal, que de retraite et successoral, étant donné les différents enjeux et les complexités liés à une entreprise», indique le rapport.
Le conseiller peut pourtant intervenir de multiples façons, affirme le planificateur financier Francis Sabourin, directeur de la gestion de patrimoine et gestionnaire de portefeuille chez Richardson GMP. D’abord, en aidant à bien définir la situation et le but premier de la planification de transfert. Puis, en aidant à organiser un premier conseil de famille et en y assistant – à titre de modérateur, par exemple – afin de faciliter les conversations et le déroulement de la rencontre.
«Parler avec les futurs héritiers de manière professionnelle et ouverte, créer un conseil de famille bien structuré – notes à l’appui et épaulé par différents professionnels financiers, selon le cas -, permet certainement d’éviter l’effet de surprise», signale M. Sabourin.
Impliquer les héritiers dans la planification du transfert de patrimoine s’effectue justement en les informant et les incluant dans les décisions, ainsi qu’en leur faisant rencontrer les divers spécialistes assignés au dossier, ajoutent Dany Provost et Thomas Jolin, associés et respectivement directeur, Planification financière et optimisation fiscale et directeur, Stratégies d’investissement chez SFL Gestion de patrimoine – Partenaire de Desjardins.
«Le conseiller doit s’assurer que les différentes parties sont coordonnées tout en veillant à ce que chaque professionnel joue son rôle. Mais il ne doit pas se substituer à ceux-ci», précisent-ils.
Messieurs Provost et Jolin signalent toutefois que l’équité envers les héritiers – enfants et/ou conjoint – est plus difficile à atteindre dans des contextes de reprise d’entreprise ou de familles recomposées. «La complexité de la fiscalité rend nécessaire l’intervention de spécialistes, expliquent-ils. Le plan de match doit être connu et compris de toutes les parties afin d’être cohérent et d’avoir un fil conducteur, ainsi que pour s’assurer de son efficacité.»
Transférer des valeurs
Notre expérience nous montre que la préservation du capital financier n’est jamais acquise, et sans une véritable stratégie familiale de gouvernance et d’éducation, le déclin de la fortune est probable, affirme Alain E. Roch, à la tête d’un multi-family office, soit une organisation qui aide les familles aisées à gérer leur patrimoine.
Dans les faits, sa firme les accompagne dans l’élaboration et l’implantation d’un plan de gouvernance et dans la mise en place de plusieurs organes utiles (fiducie, société, fondation, etc.) pour traiter chaque aspect du patrimoine familial afin de le gérer, le transmettre, le fédérer et le faire prospérer de la meilleure manière possible. Par exemple en aidant les familles à définir et à mettre en oeuvre le plan qui correspond le mieux à leur projet, et en les accompagnant dans la création de leur conseil de famille. Toutefois, «le transfert d’un patrimoine inclut sans contredit le transfert de valeurs d’une génération à l’autre», rappelle M. Roch.
«L’éducation et le partage de valeurs des héritiers sont essentiels, raison pour laquelle nous avons mis sur pied les stages de l' »Académie Blue Bridge » – destinés aux enfants de nos clients – et que nous insistons sur l’implication sociale des héritiers par des projets philanthropiques.»
Dans les faits, les héritiers doivent être formés à l’investissement, indique-t-il. Blue Bridge leur offre ainsi la possibilité de faire un stage dans son département des investissements, où «ils participeront aux discussions macroéconomiques, élaboreront des stratégies d’investissement, participeront aux processus de sélection des gestionnaires et devront rédiger un projet de recherche».
La nouvelle génération doit également être sensibilisée à la protection des données et à la cybersécurité. Finalement, ils doivent être sensibilisés au concept de l’ingénierie patrimoniale. Le stage permet ainsi aux héritiers de constater comment «un family office peut aider un client qui veut investir dans une forêt, financer une start-up, commencer une collection d’art ou vendre sa voiture de collection aux enchères, par exemple», illustre M. Roch.