La consigne au Québec: avons-nous perdu le gros bon sens?
Sylvie Cloutier|Mis à jour le 31 janvier 2024BLOGUE INVITÉ. J’ose aborder ce mois-ci un sujet qui est à la fois très complexe et très sensible, soit celui de l’élargissement de la consigne sur les contenants et emballages et de la modernisation de la collecte sélective.
Ça peut vous paraître banal comme sujet. Pour autant, la modernisation des systèmes de consigne et de la collecte sélective est un projet de grande envergure qui aura des impacts majeurs sur l’ensemble de la société civile au Québec, et ce, du producteur de contenants/emballage au consommateur final en passant par les détaillants, les industries et commerces ainsi que les municipalités.
Vous aviez l’habitude de mettre tous vos contenants et emballages au bac de recyclage?
Sachez que vos habitudes vont changer drastiquement.
Ainsi, selon la proposition de règlement actuelle, à partir de 2023, tous les contenants de boissons de 100 millilitres à 2 litres (lait, jus, eau et vin compris) seront soumis à une consigne.
Les produits consignés devront être rapportés dans un centre de dépôt ou chez un détaillant pour que le consommateur puisse récupérer le montant de la consigne. Et il faut être aussi conscient que la consigne qui vous sera imposée sur les produits à l’achat vous coûtera plus cher qu’actuellement.
On puisera davantage dans vos poches
Pourquoi ?
Le gouvernement a entrepris depuis quelques années un imposant chantier de modernisation de la collecte sélective et d’élargissement de la consigne. L’objectif étant essentiellement de réduire la quantité de matières résiduelles dans les sites d’enfouissement, et conséquemment les gaz à effet de serre.
Le système actuel de la collecte sélective veut que l’ensemble des contenants et emballages recyclables soit placé par le citoyen, chez lui, dans un bac dédié (bleu ou vert).
La collecte sélective est très performante en ce qui concerne le niveau de récupération de la matière recyclable, mais déficiente du côté du tri et de la revalorisation des contenants et emballages.
Il est important de rappeler que la collecte sélective au Québec est financée à 100 % par les entreprises qui émettent des contenants, des emballages et des imprimés.
Actuellement, ce sont uniquement les contenants de boissons gazeuses (plastique et aluminium) et les contenants de bière (verre et aluminium) qui sont consignés.
Les taux de récupération des contenants consignés stagnent autour de 70 %, et ce, depuis plus de 10 ans.
Ces contenants sont récupérés directement chez les détaillants par des systèmes privés gérés par l’industrie des boissons ou de la bière. Ces systèmes sont maximisés, car les routes de collecte de contenants vides servent aussi à la livraison.
En parallèle, la collecte sélective, soit le bac de recyclage, continuera d’être ramassée et financée par les émetteurs de contenants et d’emballages, mais subira une hausse importante des coûts parce qu’une partie de la matière que vous y déposez aujourd’hui ira vers la consigne.
Cette matière a une valeur et permet de diminuer le coût de la collecte sélective.
Ce manque à gagner sera éventuellement transféré aux consommateurs. Si vous croyez que l’inflation a des impacts sur votre budget actuel, attendez-vous à des hausses substantielles de tous les produits de consommation qui seront touchés par cette réforme.
Trois axes pour financer la consigne
Le nouveau système de consigne élargie sera financé de trois façons :
- Par les contenants non retournés par les consommateurs qui serviront à financer une partie du nouveau système de consigne. Autant dire qu’on va financer un système par sa non-performance!
- Par la vente de la matière retournée (valorisation de l’aluminium, par exemple).
- Par un écofrais non remboursable et caché au consommateur qui sera ajouté aux produits consignés, et pourrait varier entre 0,01 $ et 0,18 $ selon le type de contenant.
Si les impacts financiers sur les consommateurs peuvent aisément se chiffrer, ce projet a aussi été défendu pour mettre de l’avant des valeurs liées au développement durable qui comprend trois axes majeurs : l’économie, l’environnement et la société.
La mise en place d’un système de récupération parallèle à celui existant pour ramasser la même matière qui ira au même endroit est une stratégie sans vision et sans respect pour le développement durable.
Ainsi, au lieu de travailler sur un système québécois déjà existant dont les résultats de récupération sont inégalables, les modernisations telles que proposées par le gouvernement occasionneront ensemble des coûts au moins quatre fois plus élevés pour traiter la même quantité de matière.
Comment? En imposant des camions et des infrastructures supplémentaires, chacun de ces éléments entraînant une inflation et une hausse notamment du coût des aliments.
Sur le plan environnemental, tout citoyen est à même de constater les impacts négatifs de ces mesures qui vont multiplier les GES.
En effet, aucune étude environnementale n’a été faite pour évaluer la balance des bénéfices – risques en matière de gaz à effet de serre émis par le transport des matières. Le nouveau système de consigne, une fois mis en place et selon le modèle proposé par la réglementation, ajoutera de nombreuses lignes de transport.
Le bilan carbone de ces transports multipliés est proprement – sans mauvais jeu de mots! – effarant.
N’oublions pas les impacts sociaux
Par ailleurs, les impacts sociaux ne doivent pas être négligés.
Le Québec affiche un taux de récupération moyen de près de 76 % avec le bac bleu ou vert (pour les bouteilles de vin, ce taux s’élève à 85 %) ce qui est fort louable.
Il suffirait d’investir dans les processus existants et tenter de corriger la partie défaillante du système actuel, comme la modernisation des centres de tri ou la revalorisation de la matière récupérée, pour arriver à des résultats bien supérieurs à ceux anticipés de façon hypothétique dans la réforme proposée.
Je suis renversée de constater qu’après ces deux années de travaux, de consultations, d’études et de projets pilotes plus ou moins fructueux, la vision n’a pas évolué vers un plan vraiment innovant et mobilisateur qui répond aux objectifs d’une meilleure gestion des matières résiduelles.
Je crois qu’il serait opportun et sage, à ce stade-ci de l’avancement de cette réforme, d’observer un temps d’arrêt afin de mettre en commun les résultats de toutes les analyses, rapports et constats une fois finalisés afin de vérifier si nous allons dans la bonne direction.