ENTRE LES LIGNES. Plusieurs personnes ont jugé que l’occasion était bonne pour «investir» à la Bourse. À la Banque de Montréal, le PDG Darryl White a rapporté que les ouvertures de comptes et le nombre de transactions ont doublé au deuxième trimestre (de février à avril) par rapport à la même période l’an dernier.
Comment expliquer un tel phénomène ? Le confinement nous offre ce que nous n’avons jamais eu dans le passé : du temps. Je crois que nombre de personnes ont tout simplement trop de temps à ne rien faire à la maison. La plupart d’entre nous sont habitués à gérer un horaire surchargé.
Pour certains de ces «investisseurs» (pour moi, le terme ne s’applique pas, mais je n’ose pas écrire «spéculateurs»), la récente correction des marchés boursiers, un premier marché baissier en près de 12 ans, a probablement été un élément déclencheur pour commencer à «investir» à la Bourse. Depuis que nous sommes sortis de la crise financière de 2008-2009, il a invariablement été payant d’acheter des actions lorsque les marchés se repliaient (le phénomène du buy the dip.»
Qui plus est, si l’on se fie à l’indice VIX, qui mesure la volatilité inhérente du S&P 500, le taux de volatilité des marchés boursiers a littéralement explosé au cours des derniers mois. Alors que l’indice se maintenait généralement dans une fourchette de 10,0 à 15,0 durant les nombreux mois qui ont précédé le début de la pandémie, il a explosé à plus de 85,0 (un niveau supérieur à celui qui avait été atteint pendant la crise de 2008-2009) en mars dernier.
Encore aujourd’hui, l’indice se situe à près de 28,0, sensiblement plus bas que pendant la correction des marchés, mais néanmoins beaucoup plus élevé qu’au cours des dernières années. Or, une telle volatilité attire les spéculateurs, car elle se traduit souvent par des fluctuations violentes des indices boursiers et encore plus de certains titres plus risqués (des titres dont le bêta est très élevé).
Il y a aussi d’autres facteurs non négligeables à considérer. D’une part, plusieurs courtiers en ligne américains offrent désormais la possibilité de faire des transactions gratuitement, et il est possible d’en effectuer à très faible coût au Canada. D’autre part, les taux d’intérêt, qui étaient déjà bas avant la crise, sont encore plus bas aujourd’hui, ce qui incite les gens à ne pas conserver d’encaisse, voire à investir sur marge.
Un désastre à venir
À mon humble avis, voilà la recette d’un désastre en devenir. Même si les marchés boursiers semblent indiquer le contraire, nous sommes toujours au coeur d’une pandémie. Il est vrai que le déconfinement graduel qui se produit un peu partout dans le monde devrait favoriser une reprise économique, mais nul ne peut savoir s’il ne mènera pas à une deuxième vague de contagion. On ne peut pas non plus savoir si l’économie rebondira au cours des prochains mois.
Il me semble pourtant que de nombreux investisseurs autonomes, encouragés par le fort rebond des marchés des dernières semaines, ignorent les risques inhérents au haut degré d’incertitude qui plane au-dessus de l’économie mondiale.
Un exemple récent incite, selon moi, à une grande prudence. Il y a quelques jours, la société de location Hertz Global Holdings (HTZ) a annoncé qu’elle se plaçait sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers. L’issue probable de cette démarche est que la société sera liquidée afin de rembourser ses créanciers et que les actionnaires perdront tout (la dette de la société s’élève à plus de 20,6 milliards de dollars alors que la valeur boursière de l’entreprise n’est plus que de 161 millions de dollars). Pourtant, l’action a plus que doublé entre le 26 et 27 mai. Je me demande jusqu’à quel point ce sont les spéculateurs individuels qui ont acheté le titre.
À la fin des années 1990, en plein dans la bulle technologique, plusieurs de mes connaissances, des gens qui n’avaient jamais investi à la Bourse dans le passé, ont commencé à s’adonner au day trading. Dans la majorité des cas, cet épisode s’est bien mal terminé quand la bulle techno a littéralement dégonflé à partir des années 2000. J’espère que le retour au travail fera abandonner la pratique du day trading et de la spéculation boursière pour les nouveaux adeptes avant qu’il ne soit trop tard.
Indice VIX
85,0
Cet indice se maintenait généralement dans une fourchette de 10,0 à 15,0 durant les mois qui ont précédé le début de la pandémie, il a explosé à plus de 85,0 (un niveau supérieur à celui qui avait été atteint pendant la crise de 2008-2009) en mars dernier
Expert invité
Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100.