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Les relations entre épiciers et fournisseurs nous concernent tous

Sylvie Cloutier|Mis à jour le 31 janvier 2024

Les relations entre épiciers et fournisseurs nous concernent tous

BLOGUE INVITÉ. Le système alimentaire canadien est un écosystème complexe et changeant de producteurs, de transformateurs, de distributeurs, de commerces de détail, de fournisseurs de produits et de services. Chaque maillon de cette chaîne dépend de la solidité et de la durabilité des autres afin que le Canada puisse atteindre ses objectifs sur le plan alimentaire et pour s’assurer que les Canadiens disposent des produits alimentaires dont ils ont besoin.

Aucune autre chaîne d’approvisionnement n’est exposée à autant de pressions extérieures et d’incertitudes que la chaîne alimentaire.

Le Canada peut se flatter de posséder un secteur primaire agricole vaste et diversifié, qui dépend à la fois des marchés intérieurs et d’exportation et se caractérise souvent par une production régionalisée. On trouve dans le secteur agricole canadien près de 200 000 fermes situées dans toutes les régions du pays, qui produisent des centaines de produits agricoles différents, vendus à la fois à des entreprises de transformation et à des détaillants.

Le secteur de la transformation alimentaire compte aussi près de 7 000 entreprises au Canada, autour de 2 000 au Québec, dont la majorité sont de petites et moyennes entreprises (PME).

De son côté, le secteur du détail alimentaire, bien que fortement concentré avec le réseau des 5 principales grandes bannières existantes au Canada, dénombre près de 15 000 épiceries dont 7 000 indépendants (franchisés ou propriétaires), qui jouent un rôle unique et essentiel en assurant la disponibilité des produits alimentaires à l’échelle locale et régionale.

En pleine pandémie, en juillet 2020, une bombe a été larguée dans l’industrie alimentaire au pays: un géant du commerce de détail et alimentaire envoyait une lettre à ses fournisseurs de produits alimentaires canadiens annonçant une augmentation des frais généraux de 1,25% et de 5% pour les ventes en ligne (cumulatif aux frais de base de 1,25%) pour financer leur «programme d’investissements des fournisseurs». Quelques jours après, un autre joueur important du côté détail demandait des hausses similaires à ses fournisseurs.

 

Cinq grandes bannières

Afin de mieux comprendre la dynamique complexe du secteur alimentaire au Canada, laissez-moi la résumer le plus succinctement possible. Le marché de l’alimentation au détail au Québec et au Canada est très concentré: cinq grandes bannières principales (Metro/Jean Coutu; Loblaws/Shoppers; Sobeys/Safeway; Costco et Walmart) contrôlent plus de 80% du marché de l’épicerie. Ces cinq grandes bannières sont des incontournables si on veut une présence sur le marché alimentaire canadien.

Ces acteurs majeurs consolident leurs entreprises par l’acquisition de différentes bannières et la diversification de leurs services. Comme pour tous les secteurs, ces distributeurs alimentaires doivent se renouveler pour maintenir et attirer la clientèle.

Chaque stratégie développée par l’un d’eux amène son concurrent à en élaborer une encore plus agressive, créant ainsi une spirale qui se traduit par des mesures de plus en plus contraignantes, exigeantes et coûteuses pour, notamment, leurs fournisseurs.

Tous veulent se démarquer par la différenciation de l’offre et par des politiques de bas prix et il en résulte un système hautement compétitif et sous grande pression.

Un récent rapport du CIRANO démontre que la marge moyenne des transformateurs alimentaires du Québec est désormais de 5,7%, par rapport à 8,5% en 2017, ce qui est très bas dans une industrie où il est essentiel d’innover pour «rester sur les tablettes», pour répondre aux tendances toujours changeantes et compétitionner avec une offre alimentaire globale. En revanche, les détaillants alimentaires affichent une tendance inverse: leurs marges sont en hausse constante depuis 2014.

Tout cela affecte aussi notre sécurité et notre autonomie alimentaire parce que les marges des transformateurs en alimentation ne cessent de diminuer. Si les marges diminuent encore, plusieurs entreprises alimentaires québécoises devront mettre fin à leurs opérations.

 

Un code de bonnes pratiques

Lors de la rencontre de novembre 2020 des ministres de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire fédéral, provinciaux et territoriaux (FPT), un constat a été fait et une décision a été prise — entre autres grâce au leadership du ministre André Lamontagne — pour créer un groupe de travail FPT chargé d’établir les mesures qui permettraient de préserver l’équilibre des relations commerciales dans le système alimentaire. Cette rencontre s’est terminée par un engagement à présenter, en juillet 2021, un plan de travail en vue de l’élaboration d’un code de bonnes pratiques à l’industrie, comme il en existe dans d’autres pays.

C’est suite à cette rencontre des ministres qu’un groupe d’associations nationales et provinciales, dont le Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ), et les représentants des distributeurs alimentaires, détaillants, transformateurs et autres grands acteurs de la chaîne, se sont réunis pour discuter de la façon dont ils pourraient collaborer dans le but de proposer un processus consultatif transparent et ainsi permettre aux dirigeants de l’industrie alimentaire canadienne d’élaborer un code de bonnes pratiques par et pour l’industrie alimentaire.

L’Alliance collaborative de l’industrie alimentaire canadienne a été créée et a recommandé qu’un seul code de bonnes pratiques soit élaboré par les acteurs de la chaîne alimentaire pour l’ensemble du pays. Ce code devrait être obligatoire, administré de façon uniforme et porteur d’un solide cadre de surveillance afin de garantir la conformité de son application.

En procédant différemment, nous risquerions de nous retrouver avec différents codes dans différentes provinces, puisque la Loi constitutionnelle canadienne vise notamment à promouvoir l’autonomie des provinces dans la réglementation du commerce.

Le 15 juillet, les ministres de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire FPT déclaraient à l’issue de leur rencontre qu’il y a un consensus sur la proposition du Québec quant à la nécessité pour les détaillants en alimentation et leurs fournisseurs d’accélérer les travaux devant mener à de meilleures relations d’affaires au sein de la chaîne alimentaire au pays.

Nous sommes ravis que les ministres de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire de partout au pays appuient l’approche recommandée par l’Alliance de travailler de façon collaborative sur les modalités d’une solution complète, concrète et applicable à tous, incluant un mécanisme de résolution des différends.

Nous allons donc nous consacrer au cours des prochains mois à trouver tous ensemble un terrain d’entente qui sera bénéfique pour tous les acteurs de la chaîne bioalimentaire et pour le consommateur.

Cet exercice est une première au Canada et améliorera l’équité dans les relations entre les détaillants alimentaires et les fournisseurs, ce qui devrait se traduire par un secteur plus fort, plus innovant et plus compétitif.