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Recyclage du textile: un bilan à en déchirer sa chemise

Claude Maheux-Picard|Mis à jour le 31 janvier 2024

Recyclage du textile: un bilan à en déchirer sa chemise

BLOGUE INVITÉ. Débutons par une confidence: je suis une accro de la guenille. Si je le pouvais, je renouvellerais ma garde-robe au complet chaque saison. Selon les données existantes, je ne suis pas la seule.

Il se consomme en moyenne chaque année 40 kg de textiles par habitant au Québec. Quand on sait qu’un vêtement est porté environ sept fois avant d’être donné ou jeté (selon une conversation que j’ai eue avec Tonny Colyn, la directrice nationale du développement des affaires et de la durabilité à l’Armée du Salut, en 2018), il y a de quoi avoir le tournis.

D’entrée de jeu, il faut savoir que la production de textile est la seconde industrie la plus polluante après l’activité pétrolière.

Rien de moins.

On reproche à cette industrie sa grande consommation d’eau, de produits chimiques, ses émissions de CO2 et sa pollution des cours d’eau. Le tout se produisant dans des pays où les normes environnementales et leur contrôle sont pour le moins déficients.

Vous portez du coton biologique?

Le bilan est à peine meilleur, en raison des énormes quantités d’eau requises pour la culture. Pas facile donc d’intervenir en amont sur cette filière pour la rendre plus respectueuse de l’environnement.

 

Une filière québécoise décimée

Avec la fermeture de l’entreprise de défibrage Leigh Fibers, en 2010, puis celle du Centre des textiles techniques — Chaudière-Appalaches, en 2016, les possibilités de valorisation du gisement de textiles post-consommation demeurent limitées au Québec.

Selon les données analysées par le collectif MUTREC dans un rapport publié en 2020, près de 150 000 tonnes de textiles post-consommation — vos vêtements usagés — transitent par des centres de dons.

De ce nombre, une faible proportion (6%) se retrouve en friperie. Pas moins de 30% sont dirigés vers les marchés d’exportation.

Outre quelques autres débouchés artisanaux et la fabrication de meubles, les près de 50% restants sont envoyés à l’enfouissement. Que faire pour améliorer un bilan aussi accablant?

 

Un exemple français inspirant

Les Français l’ont compris: rendons la filière responsable de la mise en valeur de ses rebuts et le problème sera réglé. Vous commercialisez des vêtements, du linge de maison ou des chaussures?

Vous devez donc payer une «taxe» en fonction des quantités mises en marché.

Depuis 2008, l’organisme ReFashion (auparavant Eco-TLC) a pour objectif de fédérer les acteurs de cette filière autour d’objectifs communs de collecte et de valorisation des rebuts textiles. Il gère le versement des redevances exigées aux entreprises commercialisant ces produits.

En d’autres mots, l’industrie finance les opérations de mise en valeur, comme le veut le principe de responsabilité élargie des producteurs, la fameuse «REP».

Quels sont les résultats près de 15 ans plus tard?

Impressionnants.

On parle de 156 000 tonnes de textiles collectés et triés en 2020, dont 99,6% sont valorisés: 56,5% en friperie, 33,3% en d’autres produits et 9,8% en valorisation énergétique.

Pour atteindre ce niveau de performance, un réseau de 44 633 points de collecte et 64 centres de tri dédiés a été mis en place, bénéficiant des 17 millions d’euros provenant des entreprises visées par la REP.

Autre facteur de succès: la recherche et développement.

L’industrie peut compter sur le support technique et scientifique du Centre européen des textiles innovants (CETI), qui met à sa disposition une ligne complète d’équipements de conditionnement et valorisation.

Cela peut aller jusqu’à transformer les vêtements usagés en fils neuf prêt à être utilisé!

Le CETI est également l’un des partenaires du projet SCIRT (pour System Circularity and Innovative Recycling of Textiles), une initiative européenne de plus de 9 millions d’euros (13,5 M$CA lancée en juin dernier, qui vise à intensifier l’économie circulaire dans ce secteur d’activités.

 

Pendant ce temps, au Québec…

Une expertise textile se déploie tranquillement chez nous pour instiller un peu d’économie circulaire et limiter le recours à l’enfouissement. Grâce, entre autres, au centre de recherche collégiale Vestechpro, la filière du recyclage s’apprête à renaître de ses cendres.

Ce centre spécialisé en habillement a récemment fait l’acquisition d’une défibreuse qui servira entre autres à produire de la bourre à partir de différents types de textiles.

«Avec l’aide de nos partenaires de recherche, nous souhaitons offrir à l’industrie, à l’instar du CETI en France, une ligne pilote de conditionnement qui permettra de tester à grande échelle différentes options de valorisation pour les rebuts textiles générés au Québec, affirme avec fierté la directrice du centre, Mme Paulette Kaci.

Mme Kaci ajoute que le CETI souhaite ainsi mettre en commun ses expertises pour que la fin de vie de ces matières «soit plus circulaire.»

Le collectif MUTREC avait identifié le manque d’infrastructures de conditionnement comme un frein à la valorisation des textiles post-consommation québécois. L’instauration d’une REP permettrait d’accélérer et de financer la recherche de débouchés locaux rentables.

 

 

Les mêmes constats ont été faits par l’organisme ontarien Fashion Takes Action dans une étude financée par Environnement et changement climatique Canada rendue publique en avril dernier.

On y explore entre autres différents scénarios de valorisation pouvant répondre aux spécificités des différents gisements, qu’ils soient post-industriels, post-consommation ou des invendus dont on doit disposer.

 

L’importance d’une communauté de pratique

Au tout début de l’étape de fabrication, l’écoconception des vêtements et produits textiles a son importance. Bien conçu, un vêtement peut traverser les modes et les années, tout en ayant un impact moindre sur l’environnement.

C’est pour faire réseauter les créateurs et favoriser l’essaimage de solutions concrètes que Concertation Montréal (CMTL) a lancé au printemps une communauté de pratique sur le secteur du textile et de l’habillement.

«Par cette communauté de pratique et les projets qui en émergeront, nous souhaitons avoir un impact réel dans la relance verte de ce secteur d’importance pour l’agglomération de Montréal, affirme d’emblée Janie-Claude Viens, agente de développement en transition écologique chez CMTL.

«L’engouement actuel des consommateurs pour l’achat local et des produits davantage soucieux de l’environnement crée de nouvelles opportunités pour les entreprises québécoises», ajoute-t-il.

L’organisme tiendra d’ailleurs l’événement En mode circularité – Solution pour une relance verte, le 20 octobre prochain.

C’est donc dire que d’ici peu, d’autres solutions que l’enfouissement s’offriront à nous. En attendant, les centres d’action bénévoles et autres sous-sols d’églises attendent vos dons!