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L’évolution des populations pose ces nouveaux défis économiques

Morningstar|Mis à jour le 27 juin 2024

L’évolution des populations pose ces nouveaux défis économiques

(Photo: 123RF)

Les projections démographiques de la planète sont troublantes. Dans un premier temps, la population mondiale continuera d’augmenter, passant d’un niveau actuel de 8,0 milliards à environ 10,36 milliards en 2075, selon l’Institut national d’études démographiques, qui reproduit essentiellement le scénario moyen des Nations unies en matière de croissance de la population mondiale.

En 2075, cependant, la population mondiale devrait atteindre un plateau et amorcer un lent déclin pour atteindre 10,25 milliards en 2100. Une population mondiale stagnante peut ne pas sembler préoccupante, mais au niveau des pays individuels, nous constatons des déclins alarmants et des implications économiques que les investisseurs à long terme doivent prendre en considération.     

 

La population chinoise est susceptible de diminuer de moitié

La projection la plus frappante concerne la Chine. Avec un taux de fécondité qui est tombé au niveau le plus bas du monde, sa population devrait passer d’un sommet actuel de 1,4 milliard d’habitants à 771 millions en 2100, soit une chute de près de 50%. D’autres pays connaîtront des baisses, mais pas aussi importantes que celles de la Chine. Le Japon passera de 125 millions à 74 millions et l’Allemagne de 83 millions à 69 millions. L’Inde pourrait également connaître un déclin à partir de 2075, sa population passant d’un niveau actuel de 1,4 milliard à 1,68 milliard en 2075, puis à 1,5 milliard en 2100.

 

Marchés émergents à croissance rapide

D’autres pays continueront à se développer, en particulier en Afrique. Le pays le plus performant devrait être le Nigeria, dont la population va plus que doubler, passant de 215 millions à 546 millions d’habitants, ce qui en fera le troisième pays le plus peuplé du monde, cette évolution entraînant son lot de défis. Les États-Unis devraient également suivre une trajectoire ascendante, passant de 333 à 394 millions d’habitants, tout comme le Canada, qui passera de 39 à 54 millions d’habitants.

 

L’économie mondiale entre en territoire inconnu

De tels chiffres posent des défis auxquels le monde n’a jamais été confronté. Le point de vue le plus pessimiste, souvent répété, est celui d’Elon Musk, qui a tweeté que «l’effondrement de la population dû au faible taux de natalité est un risque bien plus grand pour la civilisation que le réchauffement climatique». Jared Franz, économiste chez Capital Group, a exprimé un point de vue similaire : «Nous ne nous reproduisons pas assez vite, c’est une première historique!»

Un article de Goldman Sachs 2021 a exposé quelques-unes des conséquences les plus sombres pour la Chine : une diminution de la population en âge de travailler réduisant le niveau du PIB potentiel et ralentissant la croissance du PIB, les personnes âgées constituant un fardeau plus lourd pour l’économie, l’augmentation des coûts de la main-d’œuvre, la baisse des taux d’épargne et l’augmentation de la consommation.

Dans le secteur crucial de l’immobilier, «où la Chine a construit toutes ces villes, les actifs immobilisés devront être revus à la baisse», souligne Jared Franz. L’impact pourrait être important sur les ménages, dont une grande partie de l’épargne est bloquée dans les maisons. Un marché où les prix chutent pourrait laisser de nombreuses personnes appauvries.

 

On va à l’encontre de lois fondamentales de l’économie

Selon une équation économique classique, l’augmentation de la population est un élément clé de la croissance économique : plus de gens entraînent plus de consommation ; plus de consommation, plus de production ; plus de production, plus de recettes fiscales, etc. La Chine ira à contre-courant.

Le Canada et un certain nombre d’autres pays nagent dans le sens du courant. Mais le Canada, selon de nombreux observateurs, a un problème : la croissance démographique due à l’immigration. «On peut avoir trop d’une bonne chose», tranche David Rosenberg, président et fondateur de Rosenberg Research.

De nombreuses autres voix se sont jointes à ce chœur grandissant : «Une croissance du PIB de 1% après les hausses de taux d’intérêt de la Banque du Canada reste une croissance relativement bonne», commente Thomas Torgerson, directeur général des notations souveraines mondiales chez Morningstar DBRS. «Mais le PIB par habitant est plus faible, ce qui est lié à la croissance de la population.»

Un immigrant a immédiatement besoin d’une aide gouvernementale et d’un toit, et il augmente la consommation, souligne David Rosenberg. Cela renforce l’orientation de l’économie canadienne qui la conduit de plus en plus vers un piège de faible performance. Ce dont le Canada a besoin insiste, David Rosenberg, ce n’est pas de plus de consommation et de plus d’impôts, mais de plus d’investissements en capital et d’une plus grande productivité des travailleurs, un facteur clé que les nouveaux travailleurs, qui sont en moyenne moins bien payés, peuvent contribuer à faire baisser, au moins temporairement. «Au Canada, déplore David Rosenberg, nous avons un gouvernement qui aime attirer les gens, mais pas autant le capital physique qui génère la croissance future de la productivité.»

 

Basculer de la croissance démographique à la productivité

«Avant Covid, le volume d’immigration était de 550 000 par an, ce qui était déjà beaucoup, explique Mathieu Arseneau, économiste en chef adjoint à la Banque Nationale du Canada. Mais au-delà d’un million, comme c’est le cas depuis deux ans, c’est disproportionné.» Le dernier budget fédéral a proposé des mesures visant à ramener la croissance démographique sous la barre des 500 000 habitants, un niveau optimal, estime Mathieu Arseneau. Cela devrait réduire la pression sur les coûts du logement et des services et permettre à l’immigration de redevenir un atout économique : «L’arrivée de jeunes travailleurs est positive pour l’économie et atténue les problèmes démographiques à long terme», explique Thomas Torgerson.

 

L’énigme de la population chinoise

La Chine peut-elle échapper à la plupart, voire à la totalité, des effets négatifs de son déclin démographique? Nous devons éviter l’erreur d’extrapoler indéfiniment le taux de fécondité actuel de la Chine, qui est de 1,18, dans l’avenir, conseille un récent article du Scientific American. Le gouvernement chinois a déjà proposé des mesures pour l’augmenter, mais il reste à voir si une population plus prospère de femmes actives sera réceptive.

La technologie et l’augmentation de la productivité sont porteuses d’espoir, et le Japon en donne un aperçu. La productivité est une variable clé, selon Thomas Torgerson. «La combinaison d’une productivité stagnante et d’une population en déclin constituerait un gros problème, explique-t-il. Mais le Japon est l’exemple d’un pays qui a réussi à maintenir une croissance économique, bien que faible, parce que la productivité a continué à augmenter.»

La Chine fait actuellement de même, affirme l’article du Scientific American, «en installant plus de robots industriels que n’importe quel autre pays. Il n’y a aucune raison plausible de croire que la productivité économique de la Chine va cesser de croître».

 

L’IA peut-elle résoudre le problème de la population?

L’intelligence artificielle pourrait également être un élément majeur de la productivité, mais personne ne sait comment cela se passera, estime Jared Franz : «Il y a là un paradoxe intéressant, souligne-t-il. La pointe de l’IA évolue très rapidement, mais les entreprises sont à des années-lumière derrière. Une étude du Recensement américain a montré que seulement 5% des entreprises américaines disposaient d’une capacité d’IA en production qui générait une valeur productive, principalement dans les secteurs de la technologie et de la finance.» La contribution de l’IA à la productivité reste donc une question non résolue et peu d’observateurs avisés prédisent un miracle à cet égard.

Quant à l’effet de l’IA sur l’emploi, il s’agit d’une question encore obscure. D’innombrables études ont prédit et prédisent encore des pertes d’emplois massives, mais les pertes réelles à ce jour sont bien minces, fait ressortir Jared Franz, en se référant au dernier rapport Challenger, la seule entreprise qui suit l’évolution de l’impact de l’IA sur l’emploi. Depuis mai 2023, note le rapport, «les entreprises ont supprimé 5 430 emplois en raison de l’IA, soit parce qu’elles étaient en train de pivoter pour la développer, soit parce qu’elle a remplacé des tâches et des rôles.» Cela ne représente que 1,6% du total des suppressions d’emplois qui ont atteint 322 043 au cours de l’année écoulée, selon challenger.

L’Armageddon de l’emploi par l’IA n’a pas encore eu lieu. L’IA pourrait théoriquement décimer les emplois, ce qui ne serait utile nulle part, et surtout pas en Chine, mais ce n’est pas ce qu’elle a fait jusqu’à présent. En fait, observe Jared Franz, «ce que je vois, ce sont des offres d’emploi qui montrent une augmentation des emplois liés à l’IA et exigeants des compétences en la matière». Le déclin de la population ne contribuera pas à augmenter le nombre de personnes possédant ces compétences.